Au milieu d'une terre qui pourrait être une île, Bienaimé, un chasseur, poursuit Pétrelle, qui s'est enfuie des mains de son maître.
Il finit par la coincer au sommet d'une ravine, en embuscade, après plus d'une semaine de course effrénée. Mais le voyage délie sa langue fatiguée. Veut-il continuer à chasser les Pétrelles, dont les ailes sont si fragiles et les yeux implacablement libres ?
Ce texte a été écrit dans le cadre des SENDA de la Comédie de Valence - CDN, en résidence aux Vans avec la Communauté de Commune des Vans en Cévennes (Ardèche).
Paul Francesconi, en résidence dans la communauté de communes du Pays des Vans en Cévennes depuis février 2024, a mené des rencontres avec des habitant•e•s du territoire. Il a aussi dirigé des ateliers d’écriture et des lectures au sein du Centre socio culturel Revivre, à la Médiathèque des Vans, à la Médiathèque André Brahic à Saint-Paul-Le-Jeune, à la librairie La Belle Hoursette, à l’EHPAD du Centre Hospitalier Léopold Ollier à Chambonas.
Pilotés par l’autrice Penda Diouf, les Studios d’écriture nomades en Drôme et en Ardèche de La Comédie de Valence permettent à des auteur·rice·s écrivant en français d’être accueilli·e·s pour deux mois en résidence en Drôme ou en Ardèche et de percevoir une bourse pour écrire un texte de théâtre. Pour la résidence d’écriture 23-24, l’appel à candidatures s’appuyait sur une citation de Vinciane Despret tirée d'Au bonheur des morts : « Les récits cultivent l’art de prolonger l’expérience de la présence. C’est l’art du rythme et du passage entre plusieurs mondes, l’art de faire sentir plusieurs voix. » Il a été restitué le 06 Mai 2024 à la Commanderie de Jalès.
A paraître en Mai 2025 aux éditions de l’Appartement.
" Bienaimé pleure
Aucune larme n’est assez humide
Sa voix reste trop rauque pour atténuer le vent
Tes yeux le regardent illuminés prêts
Bienaimé. Seul,
je laisse la rivière derrière moi,
et je m’avance dans le fond de la ravine, complètement vide.
Plus d’insectes, plus d’animaux, plus rien.
Au milieu des remparts, percés de cavernes,
ça sent le feu de bois,
et des murmures,
des frissons
partout.
Vous êtes là.
Tous.
Au fond des cavernes.
Cachés.
Ton homme et toi.
Et sans doute bien d’autres.
Il paraît, vous êtes nombreux, dans les ravines ?
Combien ?
Des centaines ?
Des milliers ?
Vous avez construit des royaumes entiers dans les failles des montagnes, non?
Monsieur le Maître, il m’en parle souvent.
Il a peur, il n’est pas le seul, toute la ville a peur.
Vous êtes plus nombreux que nous,
les esclaves,
plus nombreux que les maîtres,
c’est pour ça qu’ils sont durs, les maîtres,
vous, tellement nombreux, cachés dans des grottes,
et les autres esclaves aussi, sur le littoral aussi, finalement,
ce serait une révolution,
c’est tellement facile, que les esclaves, ils remplacent les maîtres.
Un grand remplacement.
Ils ont peur de ça au fond.
Pour ça qu’ils nous envoient vous chasser dans les ravines,
pour apaiser un peu leurs poitrines et leurs mains humides
mais quand tu chasses, c’est comme quand tu donnes un coup de chabouk ou que tu coupes un bras à d’un marronèr,
tu fais grimper la rage dans ses yeux jusqu’à l’explosion.
Dann fon la ravine, je suis seul, je ne peux capturer personne, peux pas tirer, Pétrelle, je renifle la fumée de vos feux de bois et votre rage qui boue et qui va jaillir sur moi,
vous allez tous m’arracher ma sale peau pour me trainer et me pendre à vos arbres, et me brûler, dans un hurlement qui remplacerait le calme terrible du ciel.
La pluie s’écrase sur moi et votre cri qui ne vient pas.
Je m’enfuis alors que les cavernes restent calme."